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Sonnet I

 

I

Non havria Ulysse o qualunqu'altro mai
Piu accorto fù, da quel divino aspetto
Pien di gratie, d'honor et di rispetto
Sperato qual i sento affani e guai.

Pur, Amour, coi begli ochi tu fatt'hai
Tal piaga dentro al mio innocente petto,
Di cibo et di calor gia tuo ricetto,
Che rimedio non v'è si tu n'el dai.

O sorte dura, che mi fa esser quale
Punta d'un Scorpio, e domandar riparo,
Contr'el velen' dall'istesso animale.

Chieggio li sol' ancida questa noia,
Non estingua el desir à me si caro,
Che mancar non potra ch'i non mi muoia.

 

1

Ulysse lui-même ou tout autre
Plus avisé encore, de ces divines apparences,
Pleines de grâce, d'honneur et de réserves,
N'aurait rien espéré, comme moi, qui n'en retire que malheur et affliction.

Mais toi, Amour, par le moyen de ces beaux yeux,
Tu as fait une telle plaie en mon coeur innocent,
Autrefois ton refuge, qui te donnais chaleur et aliment,
Qu'il n'y a de remède possible, si tu ne le donnes toi-même.

Oh dur destin, qui me fait être comme
Le dard d'un scorpion, et chercher protection
Contre le venin de ce même animal.

Je ne te demande que d'anéantir cette souffrance,
Mais pas d'éteindre mon si cher désir,
Qui ne pourrait disparaître sans que je me meure.

 

Ce poème est le premier de la page 112 des Oeuvres de 1555.

Variante de l'édition de 1556 - vers 2 : fu

Vers 1 : Ulysse est ici présent en tant que personnage avisé, représentant de la rationalité à laquelle s'oppose la passion de Louise. D'une autre manière, il est le symbole de l'insensibilité masculine car, capable de ne pas céder à ses émotions, il a su résister au chant des Sirènes.

Vers 4 : En français, on n'espère que le bien. Ce n'est le cas ni en latin où l'on peut espérer (sperare, s'attendre à ce) que les choses se passent mal, ni dans l'italien renaissant, comme on voit ici.

Vers 5 : Le mot « Amour » apparaît en français parce qu'il est le nom d'un personnage symbolique, que l'on retrouve dans d'autres sonnets, et qui prend la parole dans le Dialogue d'Amour et de Folie. De plus on notera qu'au vers 1, « Ulysse » est écrit à la française, avec un « y ».

Vers 9-11 : Il existait une croyance populaire selon laquelle l'huile tirée du scorpion était le meilleur remède contre les piqûres de ce dernier. D'après une autre tradition, rapportée par Pline, l'application du corps d'un scorpion sur sa propre piqûre la guérirait. Elles servent de fondement à une antithèse pétrarquiste. Comme le désir, le scorpion fait souffrir et guérit.

Vers 10 : « Punta peut être un participe (piquée) ou un substantif (pointe, dard) ; la seconde hypothèse est la plus probable, en effet le mot est suivi de « di », qui marque l'attribution, et non de « da », qui marquerait l'agent.

Vers 12-14 : Le désir est identifié à la vie même. D'une manière très proche, dans le sonnet XXIV, Louise souhaitera aux « Dames lyonnaises » de l'amour sans malheur.

 

Notes concernant la traduction

Elle est due à Jean-Claude Monneret. Qu'il en soit remercié. Les notes sont siennes, sauf la remarque entre crochets.

Vers 3 : J'ai tiré « rispetto » vers « réserve » au lieu de « respect ».

Vers 4 : « Qual » semble avoir une valeur comparative. Mais il faut supposer qu'il y a une ellipse de « che » entre « i » et « sento ».

Même chose au vers 9.

Vers 12 : Il faut supposer, comme pour le vers 4, qu'il y a une ellipse de « che ».

Vers 12 : Je tire « noia » vers « aversion », « insupportation » (comme dans les expressions « avere a noia », « venire a noia »), et son résultat, la souffrance. « Ennui » serait trop faible [en fait pas au sens du XVIe siècle, voir les notes du sonnet V. Par ailleurs la noia est un genre poétique d'origine provençale qui consiste à énumérer des objets et des motifs de déplaisir, voir par exemple les litanies des sonnets II ou XXI.].

Vous pouvez avoir accès par ce lien à une autre traduction, due à la plume d'Agathe Coniglio.