sonnets

 

 

XXIIII

Ne reprenez, Dames, si j'ay aymé :
Si j'ay senti mile torches ardentes,
Mile travaus, mile douleurs mordentes :
Si en pleurant, j'ay mon tems consumé,

Las que mon nom n'en soit par vous blamé.
Si j'ay failli, les peines sont presentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, ê point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
Sans la beauté d'Adonis acuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses :

En ayant moins que moy d'occasion,
Et plus d'estrange et forte passion.
Et gardez vous d'estre plus malheureuses.

 

24

Ne me blâmez pas, Dames, si j'ai aimé,
si j'ai senti mille torches ardentes,
mille supplices, mille douleurs mordantes :
Si j'ai consumé mon temps à pleurer,

Hélas ! N'entachez pas ma réputation.
Si j'ai commis des fautes, les peines sont bien là,
n'aiguisez point leurs pointes violentes :
mais songez qu'Amour, à point nommé,

sans que vous ayez l'excuse d'être la femme d'un Vulcain,
sans pouvoir accuser la beauté d'un Adonis,
pourra, s'il veut, vous rendre plus amoureuses :

en ayant moins que moi d'occasion,
et plus d'étrange et forte passion.
et gardez-vous d'être plus malheureuses.

 

Ce poème est le second de la page 123 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-eed
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : a, c, e
  • Rimes riches : c
  • Même voyelle finale pour l'oreille : a-c
Ce sonnet est bien sûr très proche de l'élégie I, par le thème (tout autre femme rsique d'être entraînée dans la fatalité amoureuse qu'elle pourrait être tentée de fustiger chez Louise) et dans l'expression (l'adresse aux « Dames », néanmoins plus prégnante dans la troisième élégie).

Vers 6 : Si j'ai commis une faute.

Vers 8 : Il s'agit du dieu Amour de la mythologie grecque.

Vers 9 et 10 : Vulcain est réputé pour sa laideur et Adonis pour sa beauté ; l'un fut le mari de Vénus, l'autre son amant. À la Renaissance, « Fourvière » était compris comme « Forum Veneris » : le lieu de Vénus (le mont de Vénus). Pour une autre évocation de Vénus, voir le sonnet V

fin