V

Clere Venus, qui erres par les Cieus,
Entens ma voix qui en pleins chantera,
Tant que ta face au haut du Ciel luira,
Son long travail et souci ennuieus.

Mon oeil veillant s'atendrira bien mieus,
Et plus de pleurs te voyant getera.
Mieus mon lit mol de larmes baignera,
De ses travaus voyant témoins tes yeus.

Donq des humains sont les lassez esprits
De dous repos et de sommeil espris.
J'endure mal tant que le Soleil luit :

Et quand je suis quasi toute cassee,
Et que me suis mise en mon lit lassee,
Crier me faut mon mal toute la nuit.

 

5

Claire Vénus, qui erres par les Cieux,
entends ma voix qui en plaintes chantera
son long supplice et son oppressant chagrin,
tant que ton visage au haut du Ciel luira.

Mon oeil éveillé s'attendrira bien mieux,
et jettera plus de pleurs en te voyant.
Il baignera de plus de larmes mon lit humide,
s'il voit que tes yeux sont témoins de ses supplices.

Donc les esprits fatigués des humains
désirent le doux repos et le sommeil.
Je supporte ma souffrance tant que le Soleil luit :

Et quand je suis presque toute cassée,
et que, fatiguée, je me suis mise en mon lit,
il me faut crier ma souffrance toute la nuit.

Ce poème est le premier de la page 114 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-eed
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : abcd
  • Rimes riches : c, e
  • Même voyelle finale en c-d
Variante de l'édition de 1556 - vers 2 : gettera

Vers 1 : Ce poème s'adresse en même temps à la planète Vénus, « qui [erre] par les Cieux » (v. 1) et à la déesse de l'amour dont la « face » luit dans le ciel (v. 3). Pour Vénus, voir le sonnet XXIV.

Vers1 : Notez le futur. Louise voit venir la nuit avec angoisse.

Vers 2 : C'est en plaintes que chante la voix de Louise.

Vers 4 : Ce vers est complément d'objet direct de « chantera » (vers 2). Les termes employés sont plus forts au XVIe siècle qu'ils le sont de nos jours. Le « travail » désignait le supplice, le « souci » était le chagrin et l'adjectif « ennuyeux » signifiait pesant, oppressant.

Second quatrain : Louise pleure plus/mieux parce qu'elle voit Vénus et parce que Vénus la voit. C'est cette « communication » qui la force à/lui permet de s'épancher.

Vers 7 : « Mol », dans le français de l'époque, signifie aussi bien « mou » que « mouillé ». Dès lors ce mot peut dépendre aussi bien de « larmes » que de « lit ».

Vers 11 : Asyndète avec les deux vers précédents.

Vers 11 : « Mal » est, ici comme au vers 14 un nom (et pas un adverbe).

Vers 12 : Le « Et » a une valeur d'opposition.

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