XVII

Je fuis la vile, et temples, et tous lieus,
Esquels prenant plaisir à t'ouir pleindre,
Tu peus, et non sans force, me contreindre
De te donner ce qu'estimois le mieus.

Masques, tournois, jeus me sont ennuieus,
Et rien sans toy de beau ne me puis peindre :
Tant que tachant à ce desir esteindre,
Et un nouvel objet faire à mes yeus,

Et des pensers amoureus me distraire,
Des bois espais sui le plus solitaire :
Mais j'aperçoy, ayant erré maint tour,

Que si je veus de toi estre delivre,
Il me convient hors de moymesme vivre,
Ou fais encor que loin sois en sejour.

 

17

Je fuis la ville, et les temples, et tous les lieux,
grâce auxquels, comme je prends plaisir à t'entendre te plaindre,
tu peux, et non sans force, me contraindre
à te donner de moi le plus précieux.

Les masques, les tournois, les jeux m'ennuient,
et sans toi je ne puis rien me peindre de beau :
au point que tentant d'éteindre ce désir,
et de faire voir autre chose à mes yeux,

et d'échapper à cette rêverie amoureuse,
je m'en vais au plus épais des bois solitaires :
mais je m'aperçois, ayant erré bien longtemps,

que si je veux être délivrée de toi,
il me faut vivre hors de moi-même,
ou que nous soyons loin l'un de l'autre.

 

Ce poème est le premier de la page 120 (numérotée par erreur 110) des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-eed
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : a, d
  • Rimes riches : b, d
Vers 1 : Le mot « temples » désigne les églises, sans aucune référence à la Réforme.

Vers 1 : Le thème de la retraite champêtre est un lieu-commun pétrarquisant.

Vers 4 : Quel est le sujet d'« estimois » ? Je ou tu ?

Vers 13 : Hyperbole pétrarquisante : dans la mesure tout l'être de l'amante est occupé par la présence obsédante de l'amant, il ne lui reste plus qu'à vivre hors d'elle-même pour y échapper.

Vers 14 : On a rarement égalé l'ambiguïté de ce vers : on ne sait, de l'aimante ou de l'aimé, qui doit se tenir à distance. De plus, doit-on comprendre « fais » commme un impératif ou un indicatif ; et dans ce cas est-ce une seconde ou une première personne ? Et encore « Ou » est-il conjonction de coordination ou pronom relatif ? Ce doute prolonge celui du vers 4 et rappelle certains aspects du sonnet II

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