sonnets

 

 

XXIII

Las ! que me sert, que si parfaitement
Louas jadis et ma tresse doree,
Et de mes yeus la beauté comparee
A deus soleils, dont Amour finement

Tira les trets causez de ton tourment ?
Où estes vous, pleurs de peu de duree ?
Et Mort par qui devoit estre honoree
Ta ferme amour et iteré serment ?

Donques c'estoit le but de ta malice
De m'asservir sous ombre de service ?
Pardonne moy, Ami, à cette fois,

Estant outree et de despit et d'ire :
Mais je m'assure, quelque part que tu sois,
Qu'autant que moy tu soufres de martire.

 

23

Hélas ! à quoi me sert que si parfaitement
tu louas jadis ma tresse dorée,
et la beauté de mes yeux comparée
à deux Soleils, dont Amour finement

tira les flèches causes de ton tourment ?
où êtes-vous, pleurs de peu de durée ?
et Mort par qui devait être honorée
ta ferme amour et ton serment répété ?

Donc c'était le but de ta méchanceté
de m'asservir en faisant semblant de me servir ?
Pardonne-moi, Ami, ce que je viens d'écrire,

car j'exagérais dans mon dépit et ma colère :
mais je suis sûre, où que tu sois,
que tu souffres le même martyre que moi.

 

Ce poème est le premier de la page 123 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-ede
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : a, d
  • Rimes riches : 1-4 (mais avec e muet), 5-8
Vers 1-5 : Louise reproche à l'aimé le pétrarquisme de ses éloges passés : la comparaison de ses yeux au soleil et la métaphore selon laquelle ils tirent des flèches d'amour.

Vers 4 : « Amour » : il s'agit du personnage symbolique, que l'on retrouve dans d'autres sonnets et dans le Débat de Folie et d'Amour.

Vers 12 : « Ire » signifie « colère ».

Vers13 : Ce vers est un endécasylalbe, à moins de pratiquer l'éllision du « e muet » d'« assure » ; si on le fait, la césure produit classiquement un rythme 4/6.