sonnets

 

 

XX

Predit me fut, que devoit fermement
Un jour aymer celui dont la figure
Me fut descrite : et sans autre peinture
Le reconnu quand vy premierement :

Puis le voyant aymer fatalement,
Pitié je pris de sa triste aventure :
Et tellement je forçay ma nature,
Qu'autant que lui aymay ardentement.

Qui n'ust pensé qu'en faveur devoit croitre
Ce que le Ciel et destins firent naitre ?
Mais quand je voy si nubileus aprets,

Vents si cruels et tant horrible orage :
Je croy qu'estoient les infernaus arrets,
Qui de si loin m'ourdissoient ce naufrage.

 

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Il me fut prédit qu'il devait fermement
m'aimer un jour, celui dont la figure
me fut décrite : et sans autre peinture
je le reconnus à la première rencontre :

puis, le voyant aimer fatalement,
je pris pitié de sa triste aventure :
et je forçai tellement ma nature,
qu'autant que lui j'aimai ardemment.

Qui n'eût pensé que réussirait de plus en plus
ce que le Ciel et les destins firent naître ?
Mais quand je vois arriver tant de nuages,

vents si cruels et si horrible orage :
je crois que c'étaient les décrets infernaux,
qui préparaient pour moi de si loin ce naufrage.

 

Ce poème est le second de la page 121 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-ede
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : a, d
  • Rimes riches : a (mais avec e muet), c, e
Vers 1 : Thème de l'amour prédit comme une fatalité.

Vers 1 : Certains éditeurs remplacent « devait » par « devais ». Le sens en est notablement changé.

Vers 9 & 10 : La prononciation renaissante permettait de faire rimer « croître » et « naître ».

Vers 11 : Lat. nubilis, de nubere : être en âge de se marier. Mais surtout jeu de mots avec « nuages », nom à la famille duquel appartient le mot « nubile ».