VII

On voit mourir toute chose animee,
Lors que du corps l'ame sutile part :
Je suis le corps, toy la meilleure part :
Ou es tu donq, ô ame bien aymee ?

Ne me laissez par si long tems pamee,
Pour me sauver apres viendrois trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hazart :
Rens lui sa part et moitié estimee.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revuë amoureuse,
L'acompagnant, non de severité,

Non de rigueur : mais de grace amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à present favorable.

 

7

On voit mourir toute chose animée
lorsque du corps l'âme subtile part.
je suis le corps, toi la meilleure part :
où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez pas dans le coma si longtemps,
J'arriverai trop tard pour me sauver.
Hélas ! ne mets pas ton corps en danger :
Rends-lui sa part et sa moitié aimée.

Mais fais en sorte, Ami, que cette rencontre
et cette retrouvaille amoureuse ne soit pas dangereuse,
en l'accompagnant, ni de sévérité

ni d'insensibilité, mais de grâce aimable,
qui me rende doucement ta beauté,
jadis cruelle, à présent favorable.

 

Ce poème est le premier de la page 115 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-ede
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : b,d
  • Rimes riches : 2-3, c, e
Variante de l'édition de 1556 - vers 11 : accompagnant

Vers 3-4 : Louise illustre ici le thème platonicien de la fusion mystique opérée par l'amour, mais de manière originale : en effet dans le mythe de l'Androgyne (Aristophane, Platon), ce sont deux êtres, deux corps et deux âmes qui se cherchent pour fusionner, et non un corps et une âme séparés comme ici.

Vers 5-6 : Il existe plusieurs manières d'expliquer la contradiction de genre entre « laissez » et « viendrais ». Aucune n'est pleinement satisfaisante. Qu'on se rappelle seulement que le passage du « vous » au « tu » est une marque de la passion dans les tragédies, et que les auteurs du Moyen Âge le pratiquaient fréquemment.

Vers 8 : Le mot « hasard » désigne le danger.