Les blasons du corps féminin

 

Ensemble de poèmes dédiés chacun à une partie du corps féminin (la main, le nez, le sein, etc.)  ; ils ne sont pas qu'un jeu décrivant le corps féminin d'une façon à la fois esthétique et érotique, mais ils renvoient à cette nouvelle doctrine platonicienne qui se fait une idée de l'amour comme quête de l'absolu (ceci est surtout vrai de ceux de Maurice Scève).

Blason

Le Beau Tetin

Tetin refaict, plus blanc qu'un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d'Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu'il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin quijamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller.
Tetin gauche, tetin mignon,
Tousjours loing de son compaignon,
Tetin qui porte temoignaige
Du demourant du personnage.
Quand on te voit il vient à mainctz
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir ;
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une aultre envie.
 O tetin ni grand ni petit,
Tetin meur, tetin d'appetit,
Tetin qui nuict et jour criez
Mariez moy tost, mariez !
Tetin qui t'enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy qui de laict t'emplira,
Faisant d'un tetin de pucelle
Tetin de femme entiere et belle.

Clément Marot

A ceulx, qui apres l'epigramme
du Beau Tetin en firent d'autres

Nobles Esprits de France Poëtiques,
Nouveaux Phebus surpassant les antiques,
Graces vous rends dont avez imité
Non un Tetin beau par extremité,
Mais un Blason, que je fis de bon zelle
Sur le tetin d'une humble Damoyselle.
 En me suyvant vous avez blasonné :
Dont haultement je me sens guerdonné.
L'un de sa part la Cheveleure blonde :
L'autre le Cueur : l'autre la Cuisse ronde :
L'autre la Main descrite proprement :
L'autre un bel Oeil deschiffré doctement :
L'autre un Esprit cherchant les Cieulx ouverts :
L'autre la Bouche, où sont plusieurs beaux vers :
L'autre une larme : et l'autre a faict l'Oreille :
L'autre un Sourcil de beauté non pareille. [...]

Clément Marot

Le Front

Front large et hault, front patent et ouvert,
Plat et uny, des beaux cheveulx couvert :
Front qui est cler et serain firmament
Du petit Monde, et par son mouvement
Est gouverné le demeurant du corps :
Et à son vueil sont les membres concors :
Lequel je voy estre troublé par nues,
Multipliant ses rides tresmenues,
Et du costé qui se presente à loeil
Semble que la se lieve le soleil.
Front élevé sur cette sphère ronde,
Où tout engin et tout sçavoir abonde.
Front reveré, Front qui le corps surmonte
Comme celuy qui ne craint rien fors honte.
Front apparent, affin qu'on peult mieulx lire
Les loix qu'amour voulut en luy escrire,
O front, tu es une table d'attente
Où ma vie est, et ma mort trespatente.

Maurice Scève