Insipidité de l'eau
Ayant le dos au feu et le ventre à la table,
Etant parmi les pots pleins de vin délectable,
Ainsi comme un poulet
Je ne me laisserai mourir de la pépie,
Quand en devrais avoir la face cramoisie
Et le nez violet.
Quand mon nez deviendra la couleur rouge ou perse,
Porterai les couleurs que chérit ma maîtresse :
Le vin rend le teint beau !
Vaut-il pas mieux avoir la couleur rouge et vive,
Riche de beaux rubis, que si pâle et chétive,
Ainsi qu'un buveur d'eau ?
On m'a défendu l'eau, du moins en beuverie,
De peur que je ne tombe en une hydropisie ;
Je me perds, si j'en bois.
En l'eau n'y a saveur ; prendrai je pour breuvage
Ce qui n'a point de goût ? mon voisin, qui est sage,
Ne le fait que je crois.
Qui aime bien le vin est de bonne nature.
Les morts ne boivent plus dedans la sépulture.
Hé ! qui sait s'il vivra
Peut-être encor demain ? chassons mélancolie.
Je vas boire d'autant à cette compagnie :
Sauve, qui m'aimera !
Olivier Basselin, XVe siècle (Les Vaudevires)
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Au sein d'un désordre aimable
Au sein d'un désordre aimable
rassemble de vrais amis ;
que Bacchus et que les ris
viennent s'asseoir à ta table.
En flattant notre odorat,
que l'agréable fumée
de la perdrix parfumée
et du lièvre délicat
nous annonce la présence
des mets les plus savoureux ;
chacun se nourrit d'avance
et les dévore des yeux.
Là dans le cristal qui brille,
déjà le vin coule à flots,
déjà la liqueur pétille
et fait jaillir les bons mots.
Plein d'une franche allégresse,
déjà le couplet badin,
joyeux enfant de l'ivresse,
vient égayer le festin.
Ami, remplis donc ton verre
en bénissant ton destin :
aujourd'hui tu peux le faire ;
mais le pourras-tu demain ?
Casimir Delavigne, XIXe siècle
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