DISCOURS III.

 

VENUS. Si onques tu uz pitié de moy, Jupiter, quand le fier Diomede me navra, lors, que tu me voyois travailler pour sauver mon fils Enee de l'impetuosité des vents, vagues, et autres dangers, esquels il fut tant au siege de Troye, que depuis : si mes pleurs pour la mort de mon Adonis te murent à compassion : la juste douleur, que j'ay pour l'injure faite à mon fils Amour, te devra faire avoir pitié de moy. Je dirois que c'est, si les larmes ne m'empeschoient. Mais regarde mon fils en quel estat il est, et tu connoitras pourquoy je me pleins.

JUPITER. Ma chere fille, que gaignes tu avec ces pleintes me provoquer à larmes ? Ne scez tu l'amour que je t'ay portee de toute memoire ? As tu defiance, ou que je ne te veuille secourir, ou que je ne puisse ?

VENUS. Estant la plus afligée mere du monde, je ne puis parler, que comme les afligées. Encore que vous m'ayez tant montré de faveur et d'amitié, si est ce que je n'ose vous suplier, que de ce que facilement vous otroiriez au plus estrange de la terre. Je vous demande justice, et vengeance de la plus malheureuse femme qui fust jamais, qui m'a mis mon fils Cupidon en tel ordre que voyez. C'est Folie, la plus outrageuse Furie qui onques fut es Enfers.

JUPITER. Folie ! ha elle esté si hardie d'atenter à ce, qui plus vous estoit cher ? Croyez que si elle vous ha fait tort, que telle punicion en sera faite, qu'elle sera exemplaire. Je pensois qu'il n'y ust plus debats et noises que entre les hommes : mais si cette outrecuidee ha fait quelque desordre si pres de ma personne, il lui sera cher vendu. Toutefois il la faut ouir, à fin qu'elle ne se puisse pleindre. Car encore que je puisse savoir de moymesme la verité du fait, si ne veus je point mettre en avant cette coutume, qui pourroit tourner a consequence, de condamner une personne sans l'ouir. Pource, que Folie soit apelee.

FOLIE. Haut et souverein Jupiter, me voici preste à respondre à tout ce qu'Amour me voudra demander. Toutefois j'ay une requeste à te faire. Pource que je say que de premier bond la plus part de ces jeunes Dieus seront du côté d'Amour, et pourront faire trouver ma cause mauvaise en m'interrompant, et ayder celle d'Amour accompagnant son parler de douces acclamacions : je te suplie qu'il y ait quelcun des Dieus qui parle pour moy, et quelque autre pour Amour : à fin que la qualité des personnes ne soit plus tot consideree, que la verité du fait. Et pource que je crein ne trouver aucun, qui, de peur d'estre apelé fol, ou ami de Folie, veuille parler pour moy : je te suplie commander à quelcun de me prendre en sa garde et proteccion.

JUPITER. Demande qui tu voudras, et je le chargeray de parler pour toy.

FOLIE. Je te suplie donq que Mercure en ait la charge. Car combien qu'il soit des grans amis de Venus, si suis je seure, que s'il entreprent parler pour moy, il n'oublira rien qui serve à ma cause.

JUPITER. Mercure, il ne faut jamais refuser de porter parole pour un miserable et afligé : Car ou tu le mettras hors de peine, et sera ta louenge plus grande, d'autant qu'auras moins ù de regard aus faveurs, et richesses, qu'à la justice et droit d'un povre homme : ou ta priere ne lui servira de rien, et neanmoins ta pitié, bonté et diligence, seront recommandees. A cette cause tu ne dois diferer ce que cette povre afligee te demande : Et ainsi je veus et commande que tu le faces.

MERCURE. C'est chose bien dure à Mercure moyenner desplaisir à Venus. Toutefois, puis que tu me contreins, je feray mon devoir tant que Folie aura raison de se contenter.

JUPITER. Et toy, Venus, quel des Dieus choisiras-tu ? l'affeccion maternelle, que tu portes à ton fils, et l'envie de voir venger l'injure, qui lui ha esté faite, te pourroit transporter. Ton fils estant irrité, et navré recentement, n'y pourroit pareillement satisfaire. A cette cause, choisi quel autre tu voudras pour parler pour vous : et croy qu'il ne lui sera besoin lui commander : et que celui à qui tu t'adresseras, sera plus aise de te faire plaisir en cet endroit, que toy de le requerir. Neanmoins s'il en est besoin, je le lui commanderay.

VENUS. Encor que l'on ait semé par le monde, que la maison d'Apolon et la mienne ne s'acordoientgueres bien : si le crois je de si bonne sorte qu'il ne me voudra esconduire en cette necessité, lui requerant son ayde à cestui mien extreme besoin : et montrera par l'issue de cette afaire, combien il y ha plus d'amitié entre nous, que les hommes ne cuident.

APOLON. Ne me prie point, Desesede beauté : et ne fais dificulté que ne te veuille autant de bien, comme merite la plus belle des Deesses. Et outre le témoignage, qu'en pourroient rendre tes jardins, qui sont en Cypre et Ida, si bien par moy entretenus, qu'il n'y ha rien plus plaisant au monde : encore connoitras tu par l'issue de cette querelle combien je te porte d'affeccion et me sens fort aise que, te retirant vers moy en cet affaire, tu declaires aus hommes comme faussement ils ont controuvé, que tu avois conjuré contre toute ma maison.

JUPITER. Retirez vous donq un chacun, et revenez demain a semblable heure, et nous mettrons peine d'entendre et vuider vos querelles.

Discours IIII