XI

O dous regars, ô yeus pleins de beauté,
Petits jardins, pleins de fleurs amoureuses
Où sont d'Amour les flesches dangereuses,
Tant à vous voir mon oeil s'est arresté !

O coeur felon, ô rude cruauté,
Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Tant j'ay coulé de larmes langoureuses,
Sentant l'ardeur de mon coeur tourmenté !

Donques, mes yeus, tant de plaisir avez,
Tant de bons tours par ses yeus recevez :
Mais toy, mon coeur, plus les vois s'y complaire,

Plus tu languiz, plus en as de soucis,
Or devinez si je suis aise aussi,
Sentant mon oeil estre à mon coeur contraire.

 

11

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,
petits jardins pleins de fleurs amoureuses
où sont les flèches dangereuses d'Amour,
mon oeil est tellement arrêté à vous regarder !

Ô coeur félon, ô dure cruauté,
tu m'emprisonnes si durement,
j'ai tant pleuré de larmes tristes,
en ressentant la brûlure de mon coeur torturé.

Donc, mes yeux, vous avez tant de plaisir,
vous recevez tant de bonheur par ces yeux ;
mais toi, mon coeur, plus tu les vois s'y complaire,

plus tu languis, plus tu as de chagrin.
Devinez donc si je me sens bien moi aussi,
quand je sens que mon oeil s'oppose à mon coeur.

 

Ce poème est le premier de la page 117 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-eed
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : a, c, d
  • Rimes riches : b
  • Rimes 11-14 : seule la double syllabe change dans les deux mots finaux.
Ce sonnet développe les relations privilégiées entre les yeux et le coeur, thème traditionnel de la poésie du XVIe siècle. L'ensemble esquisse également, sans le développer, un débat à la manière médiévale (Charles d'Orléans) entre les deux « organes ».