Trois baisers

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains,
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins !

- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
Et sur son sein, - mouche au rosier !

- Je baisai ses fines chevilles...
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal...

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
- La première audace permise,
Elle feignait de me punir !

- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux.
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Ah ! c'est encor mieux !...

Monsieur... j'ai deux mots à te dire... »
Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser. - Elle eut un rire,
Un bon rire qui voulait bien...

- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud.

[La Charge, 13 août 1870]

Manuscrit

Version Izambard

Version de Douai

Comparaison des versions

Il existe une quatrième version (Gil Blas, n°23, dimanche 29 novembre 1891)
mais son attribution n'est pas claire.