Credo in unam...

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Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie ;
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme.
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout vit, et tout monte !... - O Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des Satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux ,
Et dans les nénuphars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve jaseur, le sang des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
tout naissant, vivait, sous ses longs pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le vert syrinx, sa lèvre
Murmurait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante ;
Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,
La Terre berçant l'homme, et le long fleuve bleu
Et tous les animaux aimaient aux pieds d'un Dieu !

Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités !...
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie -
L'Homme suçait, heureux, sa Mamelle bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux !
- Parce qu'il était fort, I'Homme était chaste et doux !

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Misère ! maintenant, il dit : je sais les choses,
Et va les yeux fermés et les oreilles closes !
S'il accepte des dieux, il est au moins un Roi
C'est qu'il n'a plus l'Amour, s'il a perdu la Foi !
Oh ! s'il savait encore puiser à ta mamelle,
Grande Mère des Dieux et des Hommes, Cybèle !
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter partout, Déesse aux yeux vainqueurs,
Le Rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs !

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Je crois en Toi ! Je crois en Toi ! Divine mère !
Aphrodité marine ! - ô ! la vie est amère,
Depuis qu'un autre dieu nous attelle à sa croix !
Mais c'est toi la Vénus, c'est en toi que je crois !
- Oui l'Homme est faible et laid, le doute le dévaste,
Il a des vêtements parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles
Il veut vivre, insultant la première beauté !
Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus faire la courtisane !...
C'est une bonne farce, et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande Venus !

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Oh ! les temps reviendront ! Les temps sont bien venus !
Et l'Homme n'est pas fait pour jouer tous ces rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !...
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ce qu'il a de Dieu sous l'argile charnelle,

Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur du vieux joug, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense Iyre
Dans le frémissement d'un immense baiser
- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.

Ô ! l'Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair !
Heureux du bien présent, pâle du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi !
- Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-til cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix?
- Et l'Homme, peut-il voir? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...

Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder: - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle
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Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante.., et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour!...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...

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Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale !
Ô renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros
La blanche Kallipyge et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais toi : sur son char d'or brodé de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
- Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague ...
Il tourne lentement vers elle son oeil vague...
Elle laisse traîner sa pâle joue en fleur
Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure...
- Entre le laurier rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs de son aile...
- Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fièrement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire ;
- Hèraclés, le Dompteur, et, comme d'une gloire
Couvrant son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, à l'horizon !...

Par la lune d'été vaguement éclairée
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel mystérieux....
- La blanche Séléné laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...
- La Source pleure au loin dans une longue extase ;
C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé...
- Une brise d'amour dans la nuit a passé...
Et, dans les bois sacrés, sous l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
- Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini !...
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29 avril 1870

Arthur Rimbaud

  

Manuscrit

Version Douai

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