Charleville, 12 juillet 1871.

[Cher M]onsieur,

[Vous prenez des bains de mer], vous avez été [en bateau... Les boyards, c'est loin, vous n'en] voulez plus [je vous jalouse, moi qui étouffe ici!].
Puis, je m'embête ineffablement et je ne puis vraiment rien porter sur le papier.
Je veux pourtant vous demander quelque chose: une dette énorme, - chez un libraire, - est venue fondre sur moi, qui n'ai pas le moindre rond de colonne en poche. Il faut revendre des livres. Or vous devez vous rappeler qu'en septembre 1870, étant venu, - pour moi, - tenter d'avachir un cour de mère endurci, vous emportâtes, sur mon con[seil, plusieurs volumes, cinq ou six, qu'en août, à votre intention, j'avais apportés chez vous.]
Eh bien! tenez-vous à F[lorise, de Banville], aux Exilés, du même ? Moi qui ai besoin de [rétrocéder dies bouquins à mon libraire, je serais bien content d[e ravoir] ces deux volumes : j'ai d'autres Banville chez moi ; joints aux vôtres, ils composeraient une collection, et les collections s'acceptent bien mieux que des volumes isolés.
N'avez-vous pas Les Couleuvres ? Je placerais cela comme du neuf ! -Tenez-vous aux Nuits persanes ? un titre qui peut affrioler, même parmi des bouquins d'occasion. Tenez-vous, à [ce] volume de Pontmartin? Il existe des littérateurs [par ici qu]i rachèteraient cette prose. - Tenez-vous a[ux Glan]euses ? Les collégiens d'Ardennes; pou[rraient débo]urser [trois francs] pour bricol[er dans ces azurs-là]. J[e saurais démontr]er à mon crocodile que l'achat d'une [telle collection donnerait de portenteux bénéfices]. Je ferais rutiler les titres ina[perçus. Je réponds] de me découvrir une audace avachissante dans ce brocantage.
Si vous saviez quelle position ma mère peut et veut me faire avec ma dette de 35 fr. 25 c., vous n'hésiteriez pas à m'abandonner ces bouquins! Vous m'enverriez ce ballot chez M. Deverrière, 95, sous les Allées, lequel est prévenu de la chose et l'attend ! Je vous rembouserais le prix du transport, et je vous serais superbondé de gratitude!
Si vous avez des imprimés inconvenants dans une [bibliothèque de professeur et que vous vous en] apercevi[ez, ne vous gênez pas]. Mais, vite, je vous en prie, on me presse!
C[ordialement] et bien merci d'avance.

A. Rimbaud.

P.-S. - J'ai vu, en une lettre de vous à M. Deverrière, que vous étiez inquiet au sujet de vos caisses de livres. Il vous les fera parvenir dès qu'il aura reçu vos instructions.
[Je] vous serre la main.
A.R.

Monsieur Georges Izambard,
Professeur de rhétorique,
Collège de Cherbourg,
Cherbourg (Manche).

Manuscrit