Usbek
C'est le plus âgé des deux (la trentaine ?). Il a deux frères, l'un au gouvernement et l'autre religieux (Santon). C'est lui-même un haut-dignitaire à la Cour d'Ispahan, et son voyage est d'abord une fuite dans le but d'échapper à une disgrâce et à la mort qui en serait l'inévitable sanction.
Parti également chercher la sagesse, on le voit souvent douter des valeurs de sa civilisation. Il est en quête de valeurs universelles, et celles qu'il défend le plus souvent sont la Vertu et la Raison. Politiquement il est de même à la recherche d'un équilibre.
Pourtant il reste profondément oriental, ne se laissant jamais séduire par les femmes européennes dont il condamne «les soins qu'elles prennent de leur personne» qui lui paraissent «autant de taches faites à la vertu et d'outrages à leur époux». Et dès qu'il s'agit de son harem, il se montre despotique, ne connaissant que l'obéissance aveugle et le sang, ce qui le mène à l'échec.
Selon les sujets, il est donc le porte-parole de Montesquieu ou
l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Personnage contradictoire, et
donc particulièrement intéressant, il est au
centre de l'oeuvre, critiquant et appréciant en même temps
les valeurs
occidentales. D'une certaine façon, il annonce, jusque dans son
échec, le thème philosophique du «despote
éclairé».
Rica
Il est plus jeune (une vingtaine d'années, sa mère est inconsolable de son départ et il n'est pas encore marié) et plus gai.
Il critique moins qu'il ne se moque et se montre plus sensible que l'intellectuel Usbek. Il est aussi plus observateur et écrit plus comme un journaliste que comme un philosophe.
En même temps il s'assimile mieux qu'Usbek, et compare souvent l'Orient et l'Occident de manière assez objective. Rapidement il s'étonne moins et critique avec le regard d'un Voltaire sans plus faire référence à sa Perse natale. «J'ai pressé mille fois Rica de quitter cete terre étrangère; mais il s'oppose à toutes mes résolutions [...] Il semble qu'il ait oublié sa patrie.»
Nessir, Mirza et Rustan sont restés à Ispahan.
Ibben est à Smyrne.
Son neveu, Rhédi,
est venu jusqu'à Venise,
où il demeure. Il est lui aussi en quête de
sagesse et de compréhension.
Nargum écrit de Moscou où il est ambassadeur.
Différents religieux sont les interlocuteurs d'Usbek.
Tous saupoudrent la carte et sont autant de relais entre l'Asie et
l'Europe.
Les eunuques n'ont pas vraiment de personnalité. Personnages plus symboliques que réels, ils n'existent que comme instruments d'un despotisme dont ils sont en même temps les yeux (ils informent Usbek des dérives et désordres du harem), les victimes (doublement: ils lui doivent la perte de leur virilité et sont les esclaves des femmes) et les représentants.
Les femmes, asservies dès leur plus jeune âge, sont promenées en troupeau, dans des boîtes fermées (Montesquieu insiste sur la «couleur locale», mais c'est en même temps l'occasion d'une réflexion humaniste). Pourtant certaines individualités se détachent, parce qu'il en est question dans les lettres (la Circassienne qu'un eunuque achète pour Usbek et la femme jaune pour son frère), ou parce qu'elles écrivent.
Fatmé est sincèrement amoureuse d'Usbek et ne vit que pour lui.
Zachi, sensuelle, amoureuse jusqu'au bout d'Usbek, a pourtant des attitudes pour le moins ambigües et le trahit sans doute (XX, CXLVI)
Zélis est plus retorse, mais aussi plus directe, jusqu'à l'insolence. Elle trompe Usbek, d'abord de manière dissimulée (elle laisse à la Mosquée tomber son voile comme par accident pour que tout le peuple la voie à visage découvert), mais finalement ose clamer qu'elle n'aime plus le maître du sérail (CLVIII).
Roxane est le favorite. Usbek est fou d'elle, il lui écrit le premier et l'on apprend qu'elle lui a résisté lors de leur mariage. En fait elle a un amant de coeur et s'est montrée hypocrite tant que ce dernier était vivant. À sa mort elle crie sa haine à Usbek et se tue.
Ces femmes et d'autres dont il est question, représentent différentes étapes d'esclavage/libération.
On retrouve dans les personnages des Lettres persanes la double nature du texte : en tant
qu'ils sont au service d'une réflexion philosophique, ils ont
une valeur symbolique, mais dans la mesure où ils existent au
sein d'un roman, ils sont dotés d'une psychologie. Cette
ambivalence fait leur richesse.