Que me voulez-vous ? En voilà assez. Dites à celui qui vous envoie qu'il perd son temps et sa peine et que s'il a l'audace de me faire entendre une seconde fois un pareil langage j'en instruirai mon mari. Qui êtes-vous ? Venez-vous pour le voir ? entrez au logis, il va revenir. Dispensez-vous donc de le dire et de m'arrêter plus longtemps. De qui parlez-vous, et quel mal ai-je causé ? Me direz-vous le nom de ce mal ? Est-il si dangereux à dire, si terrible dans sa contagion, qu'il effraye une langue qui plaide en sa faveur ? C'est donc sans le vouloir, je ne connais ni l'un ni l'autre. En vérité ? Est-ce ma faute s'il est triste ? Tout le monde peut chanter le soir, et cette place appartient à tout le monde. Voilà une jolie question ! et si je n'avais que dix-neuf ans, que voudriez-vous que j'en pense ? Vraiment ? Eh bien ! pour mettre le temps à profit, j'aime Claudio, votre cousin et mon mari. Ni Coelio ; Vous pouvez le lui dire. Pourquoi n'aimerais-je pas Claudio ? C'est mon mari. Me direz-Vous aussi pourquoi je vous écoute ? Adieu, seigneur Octave ; voilà une plaisanterie qui a duré assez longtemps. Savez-vous ce qui m'arrive pendant que vous courez les champs ? J'ai reçu la visite de votre cousin. Octave, qui m'a fait une déclaration d'amour de la part de son ami Coelio. Qui est ce Coelio ? Connaissez-vous cet homme ? Trouvez bon que ni lui ni Octave ne mettent les pieds dans cette maison. Il ne s'agit pas de ce que j'ai répondu. Comprenez-vous ce que je dis ? Donnez ordre à vos gens qu'ils ne laissent entrer ni cet homme ni son ami. Je m'attends à quelque importunité de leur part, et je suis bien aise de l'éviter. Quel dommage et quel grand malheur de n'avoir pu partager un amour comme celui-là ! voyez comme le hasard me contrarie ! Moi qui allais l'aimer. Oui, sur mon âme, ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? il faut croire que sa passion pour moi était quelque chose comme du chinois ou de l'arabe, puisqu'il lui fallait un interprète, et qu'elle ne pouvait s'expliquer tonte seule. Ou peut-être que cet amour n'était encore qu'un pauvre enfant à la mamelle, et vous, comme une sage nourrice, en le menant à la lisière, vous l'aurez laissé tomber la tête la première en le promenant par la ville. Comment s'appelle ce lait merveilleux ? Bien dit. Aviez-vous préparé d'avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche. Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes? voyez un peu ce qui m'arrive : il est décrété par le sort que Coelio m'aime, ou qu'il croit m'aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m'envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j'ai à aimer ledit seigneur Coelio d'ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d'une chanson à boire ? Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu'elle, et l'homme qui lui parle, qui ose l'arrêter en place publique son livre de messe à la main, n'a-t-il pas le droit de lui dire : vous êtes une rose du Bengale fans épines et sans parfum ? N'est-ce pas une chose bien ridicule que l'honnêteté et la foi jurée ? que l'éducation d'une fille, la fierté d'un coeur qui s'est figuré qu'il vaut quelque chose, et qu'avant de jeter au vent la poussière de sa fleur chérie, il faut que le calice en soit baigné de larmes, épanoui par quelques rayons de soleil, entre ouvert par une main délicate ? Tout cela n'est-il pas un rêve, une bulle de savon qui, au premier soupir d'un cavalier à la mode, doit s'évaporer dans les airs ? Qu'est-ce après tout qu'une femme? L'occupation d'un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu'on porte à ses lèvres et qu'on jette par-dessus son épaule. Une femme ! c'est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : voilà peut-être le bonheur d'une vie entière, et qui la laisserait passer ?Encore ici, seigneur Octave? et déjà à table ? C'est un peu triste de s'enivrer tout seul. Comment ! pas un de vos amis, pas une de vos maîtresses qui vous soulage de ce fardeau terrible, la solitude ? C'est une fâcheuse affaire sans doute, et votre coeur en doit ressentir un vide effroyable. Dites-moi, cousin, est-ce du vin à quinze sous la bouteille que vous buvez ? Cela m'étonne que vous ne buviez pas du vin à quinze sous ; buvez-en, je vous en supplie. Goûtez-en ; je suis sûre qu'il n'y a aucune différence avec celui-là. Non, vous dis-je, c'est la même chose. Vous trouvez qu'il y a une grande différence ? Je croyais qu'il en était du vin comme des femmes. Une femme n'est-elle pas aussi un vase précieux, scellé comme ce flacon de cristal ? Ne renferme-t-elle pas une ivresse grossière ou divine, selon sa force et sa valeur ? Et n'y a-t-il pas parmi elles le vin du peuple et les larmes du Christ ? Quel misérable coeur est-ce donc que le vôtre, pour que vos lèvres lui fassent la leçon ? vous ne boiriez pas le vin que boit le peuple, vous aimez les femmes qu'il aime ; l'esprit généreux et poétique de ce flacon doré, ces sucs merveilleux que la lave du Vésuve a cuvés sous son ardent soleil, vous conduiront chancelant et sans force dans les bras d'une fille de joie ; vous rougiriez de boire un vin grossier ; votre gorge se soulèverait. Ah ! vos lèvres sont délicates, mais votre coeur s'enivre à bon marché. Bonsoir, cousin; puisse Rosalinde rentrer ce soir chez elle ! Etes-vous sûr qu'elle en vaut davantage ? Et si vous êtes un de ses vrais amants, n'iriez-vous pas, si la recette en était perdue, en chercher la dernière goutte jusque dans la bouche du volcan ? D'où vous vient cette gracieuse idée ? A qui en avez-vous ce soir ? Vous m'avez vue sous une tonnelle ? Depuis quand m'est-il défendu de causer avec un de vos parents ? Octave ! un de mes amants ? Perdez-vous la tête ? il n'a de sa vie fait la cour à personne. Raison de plus pour qu'il ne soit pas, comme vous dites fort agréablement, un de mes amants. il me plaît de parler à Octave sous la tonnelle d'un cabaret. A quelle extrémité voulez-vous que je vous pousse ? Je suis curieuse de savoir ce que vous feriez. Ah ! ah ! vraiment, voilà qui est nouveau ! Octave est mon parent tout autant que le vôtre ; je prétends lui parler quand bon me semblera, en plein air ou ailleurs, et dans cette maison, s'il lui plaît d'y venir. Trouvez bon que j'aille d'après la mienne, et ménagez-moi ce qui vous plaît. Je m'en soucie comme de cela. Holà ! quelqu'un. voyez-vous là-bas, dans cette rue, ce jeune homme assis devant une table, sous cette tonnelle ? Allez lui dire que j'ai à lui parler, et qu'il prenne la peine d'entrer dans ce jardin. voilà qui est nouveau ! Pour qui me prend-on ? Quel mal y a-t-il donc ? Comment suis-je donc faite aujourd'hui ? voilà une robe affreuse. Qu'est-ce que cela signifie ? - vous me réduirez à la violence ! Quelle violence ? Je voudrais que ma mère fût là. Ah bah ! elle est de son avis dès qu'il dit un mot. J'ai une envie de battre quelqu'un ! Je suis bien sotte en vérité ! voilà Octave qui vient. - Je voudrais qu'il le rencontrât. - Ah ! c'est donc là le commencement ! On me l'avait prédit. - Je le savais. - Je m'y attendais ! Patience ! patience! il me ménage un châtiment! et lequel, par hasard ? Je voudrais bien savoir ce qu'il veut dire ! Asseyez-vous, Octave, j'ai à vous parler. Rien du tout. J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit sur le compte de votre ami Coelio. Dites-moi, pourquoi ne s'explique-t-il pas lui-même ? Cela veut dire qu'il a songé à vous ? Eh bien ! parlez-moi de lui. Oui, oui, sérieusement. Me voilà. J'écoute. Quel pitoyable avocat êtes-vous donc? Parlez, que je veuille rire ou non. Je veux prendre un amant, Octave... sinon un amant, du moins un cavalier. Que me conseillez-vous ? Je m'en rapporte à votre choix : - Coelio ou tout autre, peu m'importe ; - dès demain, - dès ce soir, celui qui aura la fantaisie de chanter sous mes fenêtres trouvera ma porte entrouverte. Eh bien ! vous ne parlez pas ? Je vous dis que je prends un amant. Tenez, voilà mon écharpe en gage : qui vous voudrez la rapportera. Que voulez-vous me dire ? Relevez-vous, Octave. En vérité, si quelqu'un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c'est pour vous que vous plaidez ? OCTAVE. - Marianne ! Marianne ! au nom du ciel, ne souriez pas ! ne fermez pas votre coeur au premier éclair qui l'ait peut-être traversé! Ce caprice de bonté, ce moment précieux va s'évanouir. - vous avez prononcé le nom de Coelio, vous avez pensé à lui, dites-vous. Ah ! si c'est une fantaisie, ne me la gâtez pas. - Le bonheur d'un homme en dépend. Oui, vous avez raison, je sais tout le tort que mon amitié peut faire. Je sais qui je suis, je le sens ; un pareil langage dans ma bouche a l'air d'une raillerie, vous doutez de la sincérité de mes paroles ; jamais peut-être je n'ai senti avec plus d'amertume qu'en ce moment le peu de confiance que je puis inspirer. Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas. (Elle sort. ) OCTAVE, seul. - Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. il ne me faudrait pas beaucoup d'orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. Ce sera pourtant Coelio qui en profitera. Fuyez, Octave; vous n'avez donc pas reçu ma lettre ? La maison est entourée d'assassins! mon mari vous a vu entrer ce soir ; il a écouté notre conversation, et votre mort est certaine, si vous restez une minute encore. Octave, Octave ! au nom du ciel, ne vous arrêtez pas ! Puisse-t-il être encore temps de vous échapper ! Demain trouvez-vous à midi dans un confessionnal de l'église, j'y serai. Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t'aimerait ? Comment aurait-elle pu l'être, à moins de risquer votre vie? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous. Mais non pas dans mon coeur, Octave pourquoi dis-tu! Adieu l'amour ?