Proposition de corrigé
de la dissertation sur l'ironie

INTRODUCTION

Le sujet est amené

Les Philosophes du XVIIIe siècle se donnèrent pour mission de réformer la société, mais sans la transformer de fond en comble, sans violence, sans faire une révolution (elle arrivera finalement, mais la plupart d'entre eux ne la verront pas). Non, ils voulaient seulement la rendre plus juste, plus raisonnable, plus humaine. Donc leurs armes étaient de mots plus que d'actions, et ils surent user de toutes les formes de l'argumentation. Mais parmi tous ces outils leur préféré fut sans doute l'ironie, forme paradoxale où l'on feint toujours plus ou moins de donner la parole à celui dont on veut critiquer les idées.

Le problème est posé

Nous nous interrogerons donc sur l'efficacité que peut présenter cette forme d'expression, en particulier dans le cadre de la lutte philosophique du XVIIIe siècle, pour plus de justice, d'humanité et de raison.

Le plan est annoncé

Nous verrons dans un premier temps qu'elle est grande, et ce à plusieurs niveaux  ; néanmoins elle n'est pas sans failles, et nous soulignerons ces dernières dans la partie suivante. Finalement ce n'est peut-être pas l'efficacité qui est essentielle ici, mais le désespoir.

PREMIÈRE PARTIE

Thèse/Idée directrice

Si l'ironie est une forme argumentative très utilisée, c'est bien parce qu'elle est efficace, et ce de plusieurs manières.

Premier argument

A un premier niveau elle permet, dans une certaine mesure de contourner la censure. L'antiphrase, entre autres, autorise cela : puisque l'auteur feint de penser le contraire de son opinion réelle, comme Montesquieu dans son texte « De l'esclavage des Nègres », ou qu'il fait parler quelqu'un d'autre, comme le même auteur lorsqu'il donne la parole à ses Persans fictifs, il est difficile de dresser contre lui un acte d'accusation en bonne et due forme, et il lui est bien facile de se défendre. Derrière le Madrid de Beaumarchais, tout le monde sait bien que c'est Paris qui se dissimule, mais cela n'est dit nulle part.

Deuxième argument

A un deuxième niveau elle fait rire ou sourire. Les tours de magie du roi de France et du Pape, s'ils nous parlent peu aujourd'hui ne pouvaient manquer de plaire aux lecteurs de son époque. La fantaisie débridée de Candide les entraîne dans une farandole de folie toutes plus réjouissantes les unes que les autres, même si elles sont en même temps assez angoissantes. L'ironiste met les rieurs de son côté, ce qui est toujours la plus grande force d'un argumentateur. Se montrer ironique au lieu attaquer ses ennemis de front est habile ; cela renforce en fait la violence de l'attaque.

Troisième argument

Enfin elle fait appel à l'intelligence du lecteur. L'ironie est une arme, en quelque sorte naturelle, de la raison. D'abord parce qu'elle suppose le lecteur suffisamment subtil pour décrypter l'énigme du texte. Ensuite parce qu'elle semble souvent avoir pour fonction de ne pas laisser déborder la sensibilité de l'auteur, de l'endiguer et de la maintenir de force : Swift est aussi horrifié par la misère d'une Irlande qui meurt que Voltaire par les exécutions du Chevalier de La Barre ou de l'amiral Byng. Mais ils choisissent de ne pas crier leur horreur, de ne pas larmoyer. Ils attaquent les yeux secs ces injustices et ces folies. L'intelligence prévaut, l'ironie permet de garder le contrôle de soi-même devant l'atrocité. Et donc d'être plus fort.

TRANSITION

Ainsi l'ironie apparaît comme une arme redoutable dans l'argumentation, car, dans le même temps, elle protège celui qui l'emploie et rend intelligent celui qui la comprend en le faisant rire. Néanmoins une telle arme ne saurait être à simple tranchant, et elle n'est pas sans danger.

SECONDE PARTIE

Thèse/Idée directrice

En effet, l'emploi de l'ironie n'est pas sans risque, et il convient d'être prudent lorsqu'on la manipule, car elle peut très bien se retourner contre l'ironiste.

Premier argument

En effet, le propre de l'antiphrase, procédé le plus important de l'ironie, est d'affirmer le contraire de ce que l'on veut dire. Et plus l'antiphrase sera forte, et plus l'ironie sera efficace. Mais qu'est-ce qui garantit que, à l'autre bout de la chaîne, le lecteur va voir l'ironie, qu'il ne va pas prendre au premier degré un texte rédigé au second ? Il n'y a pas si longtemps encore un lecteur du journal Ouest-France, traitait Montesquieu d'esclavagiste. Et, à dire vrai, feignant de donner la parole à ses adversaires, le philosophe y réussit si bien que son texte ressemble beaucoup à ceux que ces derniers produisaient à la même époque. On peut s'y tromper, et l'on s'y trompe encore.

Deuxième argument

Deuxièmement, si l'ironie fait rire, c'est toujours d'un rire plus ou moins méprisant. La moquerie n'est jamais loin du sarcasme. Montesquieu présente les esclavagistes comme un ramassis de personnages qui vont du crétin à l'odieux. Dans l'article « Torture » du Dictionnaire philosophique, Voltaire attaque les juges de son époque en les traitant en même temps d'imbéciles et de sadiques. Or dans un projet humaniste, il semble qu'il n'y ait pas de place pour de telles insultes. L'ironie détruit, elle ne construit pas ; elle contraint l'adversaire au silence, elle ne le convertit pas à la vérité.

Troisième argument

Enfin l'ironie, s'adressant uniquement à la partie intellectuelle de l'esprit humain, laisse de côté, et c'est volontaire comme nous l'avons vu, la sensibilité. N'est-ce-pas Voltaire, un grand spécialiste en la matière, qui affirme que « l'Ironie ne convient point aux passions : elle ne peut aller au coeur. » (citŽ dans le Dictionnaire dramatique de Laporte et Chamfort, 1776). Ou bien elle joue avec les émotions, souvent à la limite du supportable, comme Swift, qui enfreint (et même au second degré c'est presque insoutenable) deux tabous humains fondamentaux : le meurtre des enfants et l'anthropophagie. De manière moins extrême, Candide ne connaîtra jamais le bonheur, et quand il sera enfin réuni à Cunégonde, celle-ci, après une vie de débauche, sera devenue bien laide : le lecteur somme toute est déçu. Or, en choquant ou en décevant le lecteur, l'ironiste s'interdit de le persuader vraiment, car il faut pour cela créer une vraie émotion, sans laquelle on ne saurait emporter l'adhésion entière de celui à qui l'on s'adresse.

TRANSITION

Si l'ironie est double à ce point (très efficace et très dangereuse), c'est peut-être parce qu'elle n'envisage pas comme possible ce qu'elle désire.

TROISIÈME PARTIE

Thèse/Idée directrice

L'ironie est sans doute, de même que l'humour est sa politesse, plus une forme de discourtoisie du désespoir, qu'un levier destiné à soulever le destin des hommes.

Premier argument

Elle suppose une impossibilité de discussion. Ceux dont on se moque, c'est ceux avec lesquels on ne veut pas discuter, nous l'avons vu, mais c'est peut-être plus encore ceux dont on pense qu'il n'est pas possible de dialoguer avec eux. Montesquieu enlève la parole de la bouche des esclavagistes parce qu'il pense que ces derniers ne sont pas capables de l'utiliser pour échanger des idées. Jaucourt n'exprime-t-il pas la même opinion quand il écrit à la fin de l'article « Traite des nègres » de l'Encyclopédie, à propos des arguments esclavagistes : « Les ames sensibles & généreuses applaudiront sans-doute à ces raisons en faveur de l'humanité; mais l'avarice & la cupidité qui dominent la terre, ne voudront jamais les entendre.  » Ironiser suppose que l'autre est enfermé à double tour dans sa mauvaise foi et que l'on est impuissant à le libérer.

Deuxième argument

Cela suppose également que le monde ne peut pas être changé. On peut se moquer parce que les choses resteront ce qu'elles sont, on doit se moquer parce que l'on est conscient de son inaptitude à faire que la justice triomphe. Voltaire fait de Candide ce que l'on a nommé une Encyclopédie du mal », mais propose bien peu de solutions ; seul l'Eldorado apparaît comme souhaitable, mais c'est dans l'ordre de l'imaginaire. Swift propose bien dans sa « Modeste proposition » de vraies réponses à la misére de l'Irlande, mais c'est pour nous faire comprendre qu'il est impossible de les appliquer tant les racines de l'injustice sont profondes, car elles ont poussé dans le coeur de chaque Irlandais. Ironiser, c'est parfois aller jusqu'à dire que le détestable est le plus fort, que l'injustifiable ne peut que triompher : à l'inverse, quand Voltaire défend Calas ou Sirven, il argumente pied à pied et ironise peu, car il sait qu'il peut être vainqueur.

CONCLUSION

Bilan

Ainsi l'ironie semble une arme redoutable, mais également capable de mettre à mal celui qui l'emploie. Elle perce des brèches importantes dans l'argumentation adverse, mais c'est au détriment aussi de celui qui s'en sert. Elle révèle souvent plus de désespoir que de possibilités d'action.

Réponse

Si l'on veut que l'ironie reste une arme efficace dans le combat humaniste, il convient de l'utiliser avec une grande prudence et de ne pas se laisser aller au désespoir qu'elle semble supposer.

Ouverture

Finalement c'est peut-être moins un mode d'argumentation qu'une forme d'expression personnelle. L'ironie n'est-elle pas, avant d'être une arme, une manière d'affirmer calmement et en riant un rapport tragique au monde ?