Texte I
À MONTMARTRE
En montant la rue Lepic, je voyais, l'autre matin, dans une boutique de savetier, un officier de la garde nationale, galonné jusqu'aux coudes et le sabre au côté, qui ressemelait une paire de bottes, son tablier de cuir devant lui pour ne pas salir sa tunique. Tout le tableau de Montmartre insurgé tient dans l'encadrement de cette fenêtre d'échoppe.
Figurez-vous un grand village armé jusqu'aux dents, des mitrailleuses au bord d'un abreuvoir, la place de l'Église hérissée de baïonnettes, une barricade devant l'école, les boîtes à mitraille à côté des boîtes à lait, toutes les maisons transformées en casernes, à toutes les fenêtres des guêtres d'uniforme qui sèchent, des képis qui se penchent pour écouter le rappel, des crosses de fusil sonnant au fond des petites boutiques de fripiers et, du haut en bas de la butte, une dégringolade de bidons, de sabres, de gamelles. Malgré tout, ce n'est plus ce Montmartre farouche, défilant sur le boulevard des Italiens, l'arme haute, la jugulaire au menton et marquant férocement le pas en ayant l'air de se dire : « Tenons-nous bien. La réaction nous regarde ! » Ici les insurgés sont chez eux, et, en dépit des canons et des barricades, on sent planer sur leur révolte je ne sais quoi de libre, de paisible et de familial.
Une seule chose pénible à voir, c'est ce grouillement de pantalons rouges, ces déserteurs de toutes armes : zouaves, lignards, mobiles, qui encombrent la place de la Mairie, couchés sur des bancs, vautrés au long des trottoirs, ivres, sales, en lambeaux, avec des barbes de huit jours... Au moment où je passe, un de ces malheureux, grimpé sur un arbre, harangue la foule en bégayant, au milieu des rires et des huées. Dans un coin de la place, un bataillon s'ébranle pour monter aux remparts :
« En avant ! » crient les officiers en agitant leurs sabres. Les tambours battent la charge, et les bons miliciens, enflammés d'ardeur, s'élancent à l'assaut d'une longue rue déserte, au bout de laquelle on voit quelques poules qui s'effarent en criant.
...Tout en haut, dans une échappée de jardins verts et de pentes jaunâtres, c'est le moulin de la Galette transformé en poste militaire, des silhouettes de gardes nationaux, des tentes alignées, de petits bivouacs qui fument, tout cela se détachant net et fin, comme au fond d'une longue-vue, entre un ciel pluvieux et noir et l'ocre étincelant de la butte.
Alphonse Daudet
1. À quel registre appartient ce texte ?
2. Relevez différentes accumulations et expliquez l'effet qu'elles produisent sur le lecteur.
3. Réécrivez le quatrième paragraphe (« En avant ! ...») dans un registre épique
Texte II
- Adieu ! dit-elle d'une voix douce et harmonieuse, mais sans que cette mélodie, impatiemment attendue par les chasseurs, parut dévoiler le moindre sentiment ou la moindre idée.
Monsieur d'Albon admira les longs cils de ses yeux, ses sourcils noirs bien fournis, une peau d'une blancheur éblouissante et sans la plus légère nuance de rougeur. De petites veines bleues tranchaient seules sur son teint blanc. Quand le conseiller se tourna vers son ami pour lui faire part de l'étonnement que lui inspirait la vue de cette femme étrange, il le trouva étendu sur l'herbe et comme mort. Monsieur d'Albon déchargea son fusil en l'air pour appeler du monde, et cria : Au secours ! en essayant de relever le colonel. Au bruit de la détonation, l'inconnue, qui était restée immobile, s'enfuit avec la rapidité d'une flèche, jeta des cris d'effroi comme un animal blessé, et tournoya sur la prairie en donnant les marques d'une terreur profonde.
Balzac
4. Situez le passage dans la nouvelle. Quelle est l'importance de ce texte dans le récit ?
5. À quoi la jeune femme est-elle comparée ? Quel est l'intérêt de ces comparaisons ?
6. Quels sont les points de vue successifs dans cette scène ?
7. Indiquez trois genres théâtraux et donnez un exemple de pièce pour chacun.
Toutes les réponses doivent être rédigées et justifiées.