SCÈNE PREMIÈRE - SGANARELLE,
GUSMAN.
SGANARELLE tenant une
Tabatière. Quoi que puisse
dire Aristote, et toute la Philosophie, il n'est rien
d'égal au Tabac, c'est la passion des honnêtes
gens ; et qui vit sans Tabac, n'est pas digne de
vivre ; non seulement il réjouit, et purge les
cerveaux humains ; mais encore il instruit les
âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui
à devenir honneste homme. Ne voyez-vous pas bien
dès qu'on en prend, de quelle manière
obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est
ravi d'en donner, à droite et à gauche,
partout où l'on se trouve ? On n'attend pas
même qu'on en demande, et l'on court au devant du
souhait des gens : tant il est vrai, que le Tabac inspire
des sentiments d'honneur, et de vertu, à tous ceux
qui en prennent.
Molière, Dom Juan, Acte I
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Puis, l'habitude me
vint de lire en fumant ; l'opium décuplait
l'intérêt des choses lues, comme des choses
ouïes et vues ; je fis cette découverte au
moment où je commençais, après
plusieurs mois, à me lasser de quotidiennes
conversations qui déjà n'apportaient plus
d'idées nouvelles.
Un soir, j'oublie par quel hasard, je ne
pus fumer ; pour la première fois, je connus les
angoisses de l'homme nghièn
(accoutumé à l'opium, ou à tout autre
poison lent, tabac, thé, café, dont la
privation est douloureuse). Quelle horrible nuit ! Le
ventre en déroute, l'estomac tordu par des crampes
jusqu'à ce jour inconnues, le corps secoué de
frissons, les tempes dans un étau, les yeux
larmoyants, ce fut une souffrance de damnation. Et tout cela
disparut après quelques pipes fumées.
Jules Boissière, Propos d'un
intoxiqué
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