Le marquis considérait cet homme. - De quel côté êtes-vous donc ? demanda le marquis ; êtes-vous républicain ? êtes-vous royaliste ? - Je suis un pauvre. - Ni royaliste, ni républicain ? - Je ne crois pas. - Etes-vous pour ou contre le roi ? - Je n'ai pas le temps de ça. - Qu'est-ce que vous pensez de ce qui se passe ? - Je n'ai pas de quoi vivre. - Pourtant vous venez à mon secours. - J'ai vu que vous étiez hors la loi. Qu'est-ce que c'est que cela, la loi ? On peut donc être dehors. Je ne comprends pas. Quant à moi, suis-je dans la loi ? suis-je hors la loi ? Je n'en sais rien. Mourir de faim, est-ce être dans la loi ? - Depuis quand mourez-vous de faim ? - Depuis toute ma vie. - Et vous me sauvez ? - Oui. - Pourquoi ? - Parce que j'ai dit : Voilà encore un plus pauvre que moi. J'ai le droit de respirer, lui ne l'a pas. - C'est vrai. Et vous me sauvez ? - Sans doute. Nous voilà frères, monseigneur. Je demande du pain, vous demandez la vie. Nous sommes deux mendiants. - Mais savez-vous que ma tête est mise à prix ? - Oui. - Comment le savez-vous ? - J'ai lu l'affiche. - Vous savez lire ? - Oui. Et écrire aussi. Pourquoi serais-je une brute ? - Alors, puisque vous savez lire, et puisque vous avez lu l'affiche, vous savez qu'un homme qui me livrerait gagnerait soixante mille francs ? - Je le sais. - Pas en assignats. - Oui, je sais, en or. - Vous savez que soixante mille francs, c'est une fortune ? - Oui. - Et que quelqu'un qui me livrerait ferait sa fortune ? - Eh bien, après ? - Sa fortune ! - C'est justement ce que j'ai pensé. En vous voyant je me suis dit : Quand je pense que quelqu'un qui livrerait cet homme-ci gagnerait soixante mille francs et ferait sa fortune ! Dépêchons-nous de le cacher. Le marquis suivit le pauvre. |