XIII

Oh si j'estois en ce beau sein ravie
De celui là pour lequel vois mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m'empeschoit envie :

Si m'acollant me disoit : chere Amie,
Contentons nous l'un l'autre, s'asseurant
Que ja tempeste, Euripe, ne Courant
Ne nous pourra desjoindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant acollé,
Comme du Lierre est l'arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aise envieuse :

Lors que souef plus il me baiseroit,
Et mon esprit sur ses levres fuiroit,
Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse.

 

13

Oh ! si j'étais emportée sur la belle poitrine
de celui pour lequel je me meurs :
si l'envie ne m'empêchait pas de vivre
le peu de temps qu'il me reste  :

Si en m'enlaçant il me disait : « chère Amie,
rendons-nous heureux l'un l'autre », il s'assurerait ainsi
que jamais la tempête, Euripe, ou un courant
ne pourra nous séparer durant notre vie :

si, alors que je le tenais enlacé dans mes bras,
comme le lierre encercle l'arbre,
la mort venait, envieuse de mon bonheur :

lorsque tout doucement il m'embrasserait,
et que mon esprit sur ses lèvres fuirait,
je mourrais bien plus heureuse que je ne le serais vivante.

 

Ce poème est le premier de la page 118 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-ccd-eed
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : b, c, d
  • Rimes 1-4-8/5 : vie/Amie
« Ces vers ne passeront pas auprès de ceux qui voudront les examiner sur un pied de morale et de religion. » (Guillaume Colletet)

Ce poème joue le rôle de transition entre les sonnets de l'espoir et ceux du regret.

Vers 4 : L'envie renvoie ici à la société et à ses conventions qui empêchent la réalisation de l'amour ; plus précisément, aux calomnies dont Louise fut victime.

Vers 5-6 : Plusieurs commentateurs parlent de « ventriloquisme » : Louise met ici dans la bouche de l'aimé les mots qu'elle désire lui entendre dire.

Vers 6 : Autre traduction possible, d'après Karine Berriot : « prenons ensemble notre content, en nous assurant ».


Vers 7 : Euripe, un détroit grec qui sépare d'Eubée de la Béotie, célèbre pour la violence et les renversements de ses courants, est dans la poésie du XVIe siècle, souvent le symbole de la passion dangereuse. On lit, dans le Débat de Folie et d'Amour, dans la bouche de Mercure défendant la folie : « Aristote ne mourut il de dueil, comme un fol, ne pouvant entendre la cause du flus et reflus de l'Euripe ? » ; Aristote était considéré comme le philosphe rationnel par excellence.

Tercets : La mort mêlée au baiser, dans un esprit à la fois serein et dramatique.

Vers 13 : Notez la force et l'originalité de ce vers, malgré le platonisme de l'idée.

Vers14 : Autre traduction possible, mais qui manque de force : « heureuse plus que personne au monde » (Les Poëtes français, recueils des chefs d'oeuvres, publié sous la direction de M. Eugène Crépet, paris, 1861, paris, 1861, II, p. 84).