III

O longs désirs, O esperances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumieres
A engendrer de moy maintes rivieres,
Dont mes deus yeus sont sources et fontaines :

O cruautez, o durtez inhumaines,
Piteus regars des celestes lumieres :
Du coeur transi o passions premieres,
Estimez vous croitre encore mes peines ?

Qu'encor Amour sur moy son arc essaie,
Que nouveaus feus me gette et nouveaus dars :
Qu'il se despite, et pis qu'il pourra face :

Car je suis tant navree en toutes pars,
Que plus en moy une nouvelle plaie,
Pour m'empirer ne pourroit trouver place.

 

3

Ô longs désirs, ô espérances vaines,
tristes soupirs et larmes habituées
à faire couler de moi maintes rivières
Dont mes deux yeux sont les souces et les fontaines !

Ô cruautés, ô duretés inhumaines
regards compatissants des célestes lumières,
ô passions primitives du coeur transis,
Voulez-vous encore augmenter mes peines ?

Qu'Amour essaie encore son arc sur moi,
qu'il me jette de nouveaux feux et de nouvelles flèches,
qu'il se fâche, et qu'il fasse le pire qu'il pourra :

car je suis si blessée en toutes parts
qu'aucune nouvelle plaie ne pourrait sur moi
trouver un endroit pour me faire plus mal.

 

Ce poème est le premier de la page 113 des Oeuvres de 1555.

Versification
  • abba-abba-cde-dce
  • Décasyllabes
  • Rimes masculines : d
  • Rimes riches : b
La reprise de la forme exclamative (« ô ») du sonnet précédent impose l'idée d'une architecture du recueil.

Vers 9 : Le « e » de « encor » est-il élidé pour éviter un hiatus visuel ?

Vers 12 : « navrée » signifie « blessée », « meurtrie » ; la métaphore de la blessure d'amour est un lieu commun de la poésie pétrarquiste.