Olivier de Magny (1529?-1561?)

retraitOlivier de Magny est un poète mineur, secrétaire successivement d'Hugues Salel, dont il publia la traduction des chants XI et XII de l'Iliade en 1553, et du duc d'Avanson. Voyageant beaucoup, passant d'un genre à l'autre avec des bonheurs divers, s'essayant à publier un art poétique, il condense en quelque sorte les traits typiques du poète du milieu de la Renaissance.

retraitSes rapports avec Louise Labé sont en même temps bien réels, marqués du sceau de la légende et empreints de sentiments paradoxaux. Si elle ne dit pas un mot à son sujet (rien ne prouve qu'il soit l'amant qu'elle chante dans ses textes, même au cas où ils se seraient aimés à un moment donné de leurs vies), il s'exprime à son propos ou en rapport avec elle dans plusieurs de ses recueils et il est l'auteur de trois textes des Escriz de divers poètes, à la louenge de Louize Labé. Certains textes parfois attribués à Louise sont présents dans les livres de Magny.


Les Amours (Paris, Estienne Groulleau, 1553) - Sonnets à la Castianire

La Castianire

La Castianire, portrait supposé de Louise Labé

LA CASTIANIRE D'OLIVIER DE MAGNY

Au lecteur

SONNET

D'or barbarin et d'argent de copelle,
D'aniz, d'oeilletz, de roses et de lys,
Et de boutons avecq' l'aube cueillis,
J'ay façonné ceste couronne belle,

Pour en orner, d'une forme nouvelle,
Le sacré chef de l'autheur que tu lis,
Qui tellement a mes yeux embellis
Que, luy mourant, j'en suis faite immortelle.

Et toutesfois, si tu trouves plus beau
Le verd laurier pour luy faire un chapeau,
Compasse l'en et luy couvre la teste :

Il me suffit d'avoir part en son cueur,
Et de le voir ainsy de moy vainqueur
Comme de luy je fis ample conqueste.

Sonnet attribué à Louise Labé


Tombeau poétique de Hugues Salel (en appendice à l'édition posthume préparée par Olivier de Magny pour les Onzième et Douzième Livres de l'Iliade, traduits par Salel, Paris, Vincent Sertenas, 1554, in-8°.)

LA CASTIANIRE D'OLIVIER DE MAGNY

Au passant

ELEGIE SUR LE TOMBEAU DE HUGUES SALEL

Je suis celle, passant, qui d'un traict de mes yeux
Captive de Magny tout le pis et le mieux ;
Je suis celle, passant, qui sur sa face essuye
De ses pleurs desolez la desastreuse pluye.
Je t'annonce, passant, qu'en ce cercueil icy
Gist le docte Salel, qui naquit en Quercy,
Auquel les doctes Soeurs ont acquis une vie
Qui le temps moissonneur et la Parque deffie ;
Et que, tant que le ciel tournoyera sur nous,
Tant que le fiel amer et le miel sera doulx,
Et que ces ruysselets gazoillans en leur source
Courront parmy ces prez de serpentine course,
Et tant que dessus nous luyra le grand flambeau,
Tousjours je demourray, passant, sur ce tombeau,
Pour la face essuyer de celluy qui m'a faicte
Par mille et mille vers durablement parfaicte,
Et tousjours annonçant qu'en ce cercueil icy
Gist le docte Salel, qui naquit en Quercy.

Poème attribué à Louise Labé


Les Soupirs (Jean Dallier & Vincent Sertenas, Paris, 1557)

XXXII

Des beautez de D. L. L.

Ou print l'enfant Amour le fin or qui dora
En mile crespillons ta teste blondissante ?
En quel jardin print il la roze rougissante
Qui le liz argenté de ton teint colora ?

La douce gravité qui ton front honora,
Les deus rubis balais de ta bouche allechante,
Et les rais de cet oeil qui doucement m'enchante
En quel lieu les print il quand il t'en decora ?

D'ou print Amour encorr ces filets et ces lesses
Ces hains et ces apasts que sans fin tu me dresses
Sois parlant ou riant ou guignant de tes yeus ?

Il print d'Herme ou de Chypre, et du sein de l'Aurore,
Des rayons du Soleil, et des Graces encore,
Ces atraits et ces dons, pour prendre hommes et Dieus

Olivier de Magny
texte présent dans les Escriz de divers poetes

 

O beaus yeus bruns, ô regars destournez,
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans vainement retournez :

O tristes pleins, ô desirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moy destinez.

O ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits :
O lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !

De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d'endrois d'iceus mon coeur tatant,
N'en est sur toy volé quelque estincelle.

Louise Labé, sonnet II

O beaus yeus bruns, ô regards destournez,
O chaults souspirs, ô larmes espandues,
O noires nuicts vainement attendues,
O jours luisans vainement retournez :

O tristes pleints, ô désirs obstinez,
O tens perdu, ô peines despendues,
O mille morts en mille retz tendues,
O pires maulx contre moy destinez.

O pas epars, ô trop ardente flame,
O douce erreur, ô pensers de mon âme,
Qui ça, qui là, me tournez nuit et jour

O vous mes yeux, non plus yeux mais fonteines
O dieux, ô cieux et personnes humaines,
Soyez pour dieu tesmoins de mon amour.

Olivier de Magny, Les Souspirs, sonnet LV


Odes (Paris, A. Wechel, 1559)

ODE XVII (vers 36-42)

O beaux yeux bruns de ma maistresse,
O bouche, ô front, sourcil et tresse,
O riz, ô port, ô chant et voix,
Et vous, ô graces que j'adore,
Pourray je bien quelque autre fois
Vous veoir et vous ouyr encore
Comme je feiz en l'aultre mois !

Olivier de Magny

 

Odes en faveur de D. Louïze Labé,
à son bon Signeur. D M

Muses, filles de Jupiter,
Il nous faut ores aquiter
Vers ce docte et gentil Fumee,
Qui contre le tems inhumain
Tient vos meilleurs trets en sa main,
Pour paranner sa renommee.

Je lui dois, il me doit aussi
Et si j'ay ores du souci
Pour faire mon payment plus dine
Je le voy ores devant moy
En un aussi plaisant émoy
Pour faire son Ode Latine.

Mais par ou commencerons nous ?
Dites le, Muses: car sans vous
Je ne fuis l'ignorante tourbe,
Et sans vous je ne peu chanter
Chose qui puisse contenter
Le pere de la lyre courbe.

Quand celui qui jadis naquit
Dans la tour d'erein, que conquit
Jupiter d'une caute ruse,
Ut trenché le chef qui muoit
En rocher celui qu'il voyoit,
Le chef hideus de la Meduse :

Adonques, par l'air s'en allant,
Monté sur un cheval volant,
Il portoit cette horrible teste
Et ja desja voisin des Cieus
Il faisoit voir en mile lieus
La grandeur de cette conqueste.

Tandis du chef ainsi trenché
Estant freschement arraché,
Distiloit du sang goute à goute :
Qui soudein qu'en terre il estoit,
Des fleurs vermeilles enfantoit,
Qui changement la campagne toute,

Non en serpent, non en ruisseau,
Non en loup, et non en oiseau,
En pucelle, Satire ou Cyne :
Mais bien en pierre : faisant voir
Par un admirable pouvoir
La vertu de leur origine.

Et c'est aussi pourquoy je crois,
Que fendant l'air en mile endrois
Sur mile estrangeres campagnes,
A la fin en France il vola,
Ou du chef hideus s'escoula
Quelque sang entre ces montagnes.

Mesmement aupres de ce pont
Opposé viz à viz du mont,
Du mont orguilleus de Forviere
En cet endroit ou je te vois
Egaler meinte et meintefois
Entre l'une et l'autre riviere

Car deslors que fatalement
J'en aprochay premierement,
Je vis des la premiere aproche
Je ne say quelle belle fleur :
Qui soudein mesclavant le coeur
Le fit changer en une roche.

Je viz encor tout à lentour
Mile petis freres d'Amour,
Qui menoient mile douces guerres,
Et mile creintifs amoureus
Qui tous comme moy langoureus
Avoient leurs coeurs changez en pierres.

Depuis estant ainsi rocher,
Je viz pres de moy aprocher
Une Meduse plus acorte
Que celle dont s'arme Pallas,
Qui changea jadis cet Atlas
Qui le Ciel sur l'eschine porte

Car elle, ayant moins de beautez,
De ces cheveux enserpentez
Faisoit ces changements estranges :
Mais cetteci, d'un seul regard
De son oeil doucement hagard
Fait mile plus heureus eschanges.

Celui qui voit son front si beau
Voit un Ciel, ainçois un tableau
De cristal, de glace, ou de verre
Et qui voit son sourcil benin,
Voit le petit arc hebenin
Dont Amour ses traits nous desserre.

Celui qui voit son teint vermeil,
Voit les roses qu'à son réveil
Phebus épanit et colore :
Et qui voit ses cheveus encor,
Voit dens Pactole le tresor
Dequoy ses sablons il redore.

Celui qui voit ses yeus jumeaus,
Voit au Ciel deus heureus flambeaus,
Qui rendent la nuit plus cerene
Et celui qui peut quelquefois
Escouter sa divine voix
Entend celle d'une Sirene.

Celui qui fleure en la baisant
Son vent si dous et si plaisant,
Fleure l'odeur de la Sabee :
Et qui voit ses dens en riant
Voit des terres de l'Orient
Meinte perlette desrobee.

Celui qui contemple son sein
Large, poli, profond et plein,
De l'Amour contemple la gloire,
Et voit son teton rondelet,
Voit deus petis gazons de lait,
Ou bien deus boulettes d'ivoire.

Celui qui voit sa belle main,
Se peut asseurer tout soudein
D'avoir vu celle de l'Aurore
Et qui voit ses piez si petis,
S'asseure que ceux de Thetis
Heureus il ha pù voir encore.

Quant à ce que l'acoutrement
Cache, ce semble, expressement
Pour mirer sur ce beau chef d'euvre,
Nul que l'Ami ne le voit point :
Mais le grasselet embonpoint
Du visage le nous descoeuvre.

Et voilà comment je fuz pris
Aus rets de l'enfant de Cypris
Esprouvant sa douce pointure :
Et comme une Meduse fit,
Par un dommageable proufit,
Changer mon coeur en pierre dure.

Mais c'est au vray la rarité
De sa grace et de sa beauté,
Qui ravit ainsi les personnes :
Et qui leur ôte cautement
La franchise et le sentiment,
Ainsi que faisoient les Gorgonnes.

Le Tems cette grand'fauls tenant
Se vét de couleur azuree,
Pour nous montrer qu'en moissonnant
Les choses de plus de duree
Il se gouverne par les Cieus :
Et porte ainsi la barbe grise
Pour faire voir qu'Hommes et Dieus
Ont de lui leur naissance prise.

Il assemble meinte couleur
Sur son azur, pource qu'il treine
Le plaisir apres la douleur
Et le repos apres la peine :
Montrant qu'il nous faut endurer
Le mal, pensant qu'il doit fin prendre,
Comme l'Amant doit esperer
Et merci de sa Dame atendre.

Il porte sur son vétement,
Un milier d'esles empennees
Pour montrer comme vitement
Il s'en vole avec nos annees :
Et s'acompagne en tous ses faits
De cette gente Damoiselle,
Confessant que tous ses effets
N'ont grace ne vertu sans elle.

Elle s'apelle Ocasion,
Qui chauve par derriere porte,
Sous une docte allusion,
Ses longs cheveus en cette sorte
A fin d'enseigner à tous ceus
Qui la rencontrent d'aventure
De ne se montrer paresseus
A la prendre à la chevelure.

Car, s'elle se tourne et s'en fuit,
En vain apres on se travaille
Sans espoir de fruit on la suit.
Le Tems ce dous loisir nous baille,
De pouvoir gayement ici
Dire et ouir maintes sornettes,
Et adoucir notre souci,
En contant de nos amourettes.

Le Tems encore quelquefois,
Admirant ta grace eternelle,
Chantera d'une belle voix
D'Avanson ta gloire eternelle :
Mais or' l'ocasion n'entend
Que plus long tems je l'entretienne,
Creignant perdre l'heur qui m'atend
Ou qu'autre masque ne survienne.

 

Olivier de Magny
texte présent dans les Escriz de divers poetes

ODE XL A SIRE AYMON

Si je voulois par quelque effort
Pourchasser la perte, ou la mort
Du sire Aymon, et j'eusse envye
Que sa femme luy fut ravie,
Ou qu'il entrast en quelque ennuy,
Je serois ingrat envers luy.

Car alors que je m'en vois veoir
La beaulté qui d'un doux pouvoir
Le cueur si doucement me bralle,
Le bon sire Aymon se reculle,
Trop plus ententif au long tour
De ses cordes, qu'à mon amour.

Ores donq'il fault que son heur,
Et sa constance et son honneur
Sur mon luth vivement j'accorde,
Pinsetant l'argentine corde
Du luc de madame parfaict,
Non celle que son mary faict.

Cet Aymon de qui quatre filz
Eurent tant de gloire jadis,
N'eust en sa fortune ancienne
Fortune qui semble à la tienne,
Sire Aymon, car sans ses enfans
Il n'eust poinct surmonté les ans.

Mais toy sans en avoir onq'eu
As en vivant si bien vaincu
L'effort de ce Faucheur avare,
Que quand ta memoire si rare
Entre les hommes perira,
Le Soleil plus ne reluira.

O combien je t'estime heureux !
Qui vois les tresors plantureux,
De ton espouze ma maistresse,
Qui vois l'or de sa blonde tresse,
Et les attraictz delicieux
Qu'Amour descoche de ses yeux.

Qui vois quand tu veulx ces sourciz,
Sourciz en hebeine noirciz,
Qui vois les beaultez de sa face,
Qui vois et contemples sa grace,
Qui la vois si souvent baler,
Et qui l'ois si souvent parler.

Et qui vois si souvent encor,
Entre ces perles et cet or,
Un rubis qui luyt en sa bouche,
Pour adoucir le plus farouche,
Mais un rubiz qui sçait trop bien
La rendre à soy sans estre sien.

Ce n'est des rubiz qu'un marchant
Avare aux Indes va cerchant,
Mais un rubiz qu'elle decore,
Plus que le rubiz ne l'honnore,
Fuyant ingrat à sa beaulté
Les apastz de sa privaulté.

Heureux encor qui sans nul soin
Luy vois les armes dans le poing,
Et brandir d'une force adextre,
Ores à gauche, ores à dextre,
Les piques et les braquemars
En faisant honte au mesme Mars.

Mais pour bien ta gloire chanter
Je ne sçay que je doys vanter
Ou ton heur en telle abondance,
Ou la grandeur de ta constance,
Qui franc de ses beaultez jouyr
N'as que l'heur de t'en resjouyr.

Tu peulx bien cent fois en un jour
Veoir ceste bouche où niche amour,
Mais de fleurer jamais l'aleine,
Et l'ambre gris dont elle est pleine
Alleché de sa douce voix,
En un an ce n'est qu'une fois.

Tu peulx bien cent fois en un jour
Veoir ceste cuysse faicte au tour,
Tu peux bien veoir encor ce ventre,
Et ce petit amoureux antre
Ou Venus cache son brandon,
Mais tu n'as point d'autre guerdon.

Puisses tu veoir souvent ainsi
Les beaultez et graces aussi,
Soit de son corps, soit de sa face,
Et puisse-je prendre en ta place
Les doux plaisirs et les esbatz
Qu'on prend aux amoureux combatz.

Et tousjours en toute saison,
Puisses tu veoir en ta maison
Maint et maint brave capitaine,
Que sa beaulté chez toy ameine,
Et tousjours, sire Aymon, y veoir
Maint et maint homme de sçavoir.

Et lors qu'avec ton tablier gras
Et ta quenouille entre les bras
Au bruict de ton tour tu t'esgayes,
Puisse elle tousiours de mes playes,
Que j'ay pour elle dans le cueur,
Apaiser la douce langueur.

Olivier de Magny

Magny ? Baïf ?

Epitre à ses amis, des gracieusetes
de D. L. L.

Que faites vous, mes compagnons,
Des cheres Muses chers mignons ?
Av'ous encore en notre absence
De votre Magny souvenance ?
Magny votre compagnon dous,
Qui ha souvenance de vous
Plus qu'assez, s'une Damoiselle,
Sa douce maitresse nouvelle,
Qui l'estreint d'une estroite Foy
Le laisse souvenir de soy.
Mais le Povret qu'Amour tourmente
D'une chaleur trop vehemente,
En oubli le Povret ha mis
Soymesme et ses meilleurs amis :
Et le Povret à rien ne pense,
Et si n'a de rien souvenance,
Mais seulement il lui souvient
De la maitresse qui le tient,
Et rien sinon d'elle il ne pense,
N'ayant que d'elle souvenance.
Et, tout brulé du feu d'amours
Passe ainsi les nuits et les jours,
Sous le joug d'une Damoiselle
Sa douce maitresse nouvelle,
Qui le fait ore esclave sien,
Ataché d'un nouveau lien :
Qui le coeur de ce miserable
Brule d'un feu non secourable,
Si le secours soulacieus
Ne lui vient de ses mesmes yeus,
Qui premiers sa flamme alumerent,
Qui premiers son coeur enflammerent,
Et par qui peut estre adouci
L'amoureus feu de son souci.
Mais ny le vin ny la viande,
Tant soit elle douce et friande,
Ne lui peuvent plus agreer.
Rien ne pourroit le recreer,
Non pas les gentilesses belles
De ces gentiles Damoiselles,
De qui la demeure Ion met
Sur l'Heliconien sommet,
Qu'il avoit tousjours honorees,
Qu'il avoit tousjours adorees
Des son jeune aage nouvelet,
Encores enfant tendrelet.
Adieu donq Nynfes, adieu belles,
Adieu gentiles Damoiselles,
Adieu le Choeur Pegasien,
Adieu l'honneur Parnasien
Venus la mignarde Deesse,
De Paphe la belle Princesse,
Et son petit fils Cupidon,
Me maitrisent de leur brandon.
Vos chansons n'ont point de puissance
De me donner quelque allegeance
Aus tourmens qui tiennent mon cœur
Genné d'une douce langueur
Je n'ay que faire de vous, belles :
Adieu, gentiles Damoiselles :
Car ny pour voir des monceaus d'or
Assemblez dedens un tresor,
Ny pour voir flofloter le Rone,
Ny pour voir escouler la Sone,
Ny le gargouillant ruisselet,
Qui coulant d'un bruit doucelet,
A dormir, d'une douce envie,
Sur la fresche rive convie :
Ny par les ombreus arbrisseaus
Le dous ramage des oiseaus
Ny violons, ny espinettes,
Ny les gaillardes chansonnettes,
Ny au chant des gaies chansons
Voir les garces et les garçons
Fraper en rond, sans qu'aucun erre,
D'un branle mesuré, la terre.
Ny tout celà qu'a de joyeus
Le renouveau delicieus ;
Ny de mon cher Givés (qui m'ayme
Comme ses yeus) le confort mesme.
Mon cher Givés, qui comme moy
Languit en amoureus émoy,
Ne peuvent flater la langueur
Qui tient genné mon povre coeur :
Bien que la mignarde maitresse,
Pour qui je languis en détresse,
Contre mon amoureus tourment
Ne s'endurcisse fierement :
Et bien qu'ingrate ne soit celle,
Celle gentile damoiselle
Qui fait d'un regard bien humain,
Ardre cent feus dedens mon sein.
Mais que sert toute la caresse
Que je reçoy de ma maitresse ?
Et que me vaut passer les jours
En telle esperance d'amours,
Si les nuiz de mile ennuiz pleines
Rendent mes esperances veines ?
Et les jours encor plein d'ennuiz,
Qu'absent de la belle je suiz,
Quand je meurs, absent de la belle,
Ou quand je meurs present pres d'elle
N'osant montrer (o dur tourment!)
Comme je l'ayme ardantement ?
Celui vraiment est miserable
Qu'amour, voire estant favorable,
Rend de sa flame langoureus.
Chetif quiconque est amoureus,
Par qui si cher est estimee
Une si legere fumee
D'un plaisir suivi de si pres
De tant d'ennuiz qui sont apres.
Si ay je aussi cher estimee
Une si legere fumee.

Texte présent dans les Escriz de divers poetes
et repris la même année dans les Amours de Francine
de Baïf (Paris, A. Wechsel, 1555),
avec plusieurs variantes importantes,
entre autres le fait que le nom de Baïf
remplace celui de Magny.
De la même manière le nom de Tahureau (ami de Baïf)
est substitué à celui de Gyvès (ami de Magny).
Qui vole qui ?

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